De g à d: MM. Millet, Le Faou, Rouillé d'Orfeuil, Billaz, Mazoyer (Ph Paysud)
La section Aquitaine de l'UNIAGRO (Union des Ingénieurs Agronomes) que préside Bruno Millet, directeur-adjoint de la chambre régionale d'agriculture d'Aquitaine, et également l'un des commissaires du Salon de l'Agriculture, a eu la bonne idée, à l'occasion de son rendez-vous annuel, de quitter pour quelque heures le royaume des nantis en matière alimentaire, pour le monde des pays en voie de développement, dans lesquels la sous-alimentation, voire la famine, règnent encore. Les relations nord-sud étaient en effet le thème d'un colloque parallèlement à l'assemblée générale de l'AFDI (Agriculteurs Français et Développement International), une association proche des grandes organisations agricoles qui est engagée dans des programmes de coopération. L'action des organisations non gouvernementales se heurte sur le terrain à de nombreuses difficultés comme on a pu le constater à travers l'intervention de Henri Rouillé d'Orfeuil qui évoquait le cas de Haïti. Pour sa part Steven Le Faou (AFDI) soulignait la nécessite de défendre l'agriculture familiale en Afrique et avançait pour répondre au défi de la nourriture la notion "de droit à l'alimentation" de l'individu, notion différente tout de même de celle "de souveraineté alimentaire" . Cependant il n'existe pas de consensus pour faire respecter ce droit. On continue à voir les choses par le prisme commercial. Et un constat aberrant:70% des gens sous-alimentés sont des paysans.
Un exode impossible
Alors suffit-il de les mettre en ville pour qu'ils mangent? Il n'est pas pensable, ont estimé tous les intervenants, que des milliards d'emplois puissent être créés et donc d'imaginer un schéma d'exode rural comme celui qu'ont vécu les pays occidentaux. Inimaginable de ramener dans ces pays la population agricole à 3%. La voie la plus raisonnable est donc le développement de la production familiale. AVSF ( Agronomes et Vétérinaire sans Frontière) s'y emploie comme l'a expliqué son représentant René Billaz. L'un de ses programmes porte sur le développement de l'aviculture villageoise, mais cela implique une production de grain et une intensification écologique des agricultures locales, ainsi que la prévention des maladies. On peut ainsi obtenir "un poulet bicyclette" mieux apprécié que le poulet brésilien importé qui arrive pourtant à bas prix. La formation d'auxiliaires vétérinaires dans les villages donne de bons résultats, comme l'ensemble d'un programme qui mériterait d'être porté à grande échelle. On notera aussi que, selon René Billaz, c'est -plus que le changement climatique- l'extension du troupeau de ruminants, des zones de production, et le recul de la végétation , qui accélèrent la désertification. Sous l'effet de la croissance de la population, les troupeaux ont doublé ou triplé. C'est aussi cette croissance de population qui est à maîtriser. Un moyen simple, selon l'intervenant, est la scolarisation des filles qui se traduit par une baisse de 50% de la natalité.
Priorité au prix
Marcel Mazoyer (professeur émérite d’AgroParisTech, auteur de plusieurs livres) brosse quant à lui le tableau mondial des agricultures car selon lui, il y en a plusieurs. Quelle similitude en effet entre le modèle des pays occidentaux et ce milliard de paysans qui travaille encore à la main? L'agriculture des pays développés a fait baisser les coûts et les prix, explique-t-il. Les investisseurs ont quant à eux tenté de reproduire ailleurs le modèle avec des terres à bon marché, et de la main d'oeuvre à moindre coût.. D'où des différences colossales de prix de revient. Pour Marcel Mazoyer, il eut fallu permettre le maintien de prix élevés pour permettre aux petits paysans de vivre et de rester à la terre. Constat qu'il applique aussi à la France. "Dès les années 80, on aurait dû favoriser une politique de prix". Le système qui a été choisi a remarqué Marcel Mazoyer - la compensation- a conduit à la réduction du nombre d'agriculteurs, mais aussi à l'affaiblissement de la France agricole dans l'Europe. " Aujourd'hui, lors des réunions du Conseil, c'est tout juste si le ministre français de l'agriculture n'est pas sifflé par les autres". La régulation des prix dont on parle, est certes utile, estime-t-il, "mais la première régulation à faire c'est celle des prix payés aux producteurs dans chaque pays". Pour Marcel Mazoyer il faudrait au moins revenir à 200€ la tonne pour le prix des céréales en Europe. Pour cela "il est nécessaire de se battre pour une reconstitution des politiques agricoles comportant des politique de prix et des droits de protection". Ces politiques agricoles pourraient à ses yeux être mises en place dans le cadre de marché communs entre plusieurs pays en développement.